Hippolyte & Aricie

JEAN-PHILIPPE RAMEAU

Capitole de Toulouse 2009, Opéra national de Paris 2012

Ce soir, Rameau présente au public son premier opéra. Un opéra qui « fatigue » Voltaire « à force de science », écrase le vieux Campra parce que son rival y comprime « assez de musique pour en faire dix », terrorise le Mercure où pour la première fois l’adjectif « baroque » est associé à une œuvre musicale (« le singulier étoit du barocque, la fureur du tintamare »). 


Mais d’abord une date. Jeudi 1er octobre 1733. A cinquante ans, Rameau débute sur la scène lyrique – d’où il ne descendra plus. D’un coup, la tragédie lyrique change de ton, de couleur, de matière : « c’est ici, lira-t-on aussi dans le Mercure, l’époque de la révolution qui se fit dans la Musique ». 

Révolution ? Le code fondateur est pourtant bien là, sévère, effrayant même : un découpage en tout point conforme à celui inventé soixante ans plus tôt par Lully et son poète Quinault ; une pluie de dieux ex machina et de figures décoratives ; dans chaque acte, au cœur de la tragédie, un divertissement dansé pour les marins joyeux, les chasseurs ou les bergers. Plus rien de l’unité propre au modèle avoué – la Phèdre de Racine –, rien encore du théâtre réaliste, rien comme aujourd’hui. Tout pour nous, et même tout nous, mais rien comme nous. 

Orgueilleux, aristocratique, Hippolyte ne marche qu’à son rythme, se prête à toutes les adaptations mais refuse de s’adapter à nos usages et à nos caprices. Nous avons donc renoncé à le conduire de force jusqu’ici. Nous avons fait le pari de nous transporter jusqu’à lui. De nous défaire de nos habitudes pour écouter sa langue, ses règles, son inquiétante étrangeté.


Suivre Rameau et Pellegrin dans leur rituel abandonné, leurs codes oubliés, leurs machines, leurs amours et leurs monstres, leurs larmes et leurs divagations, jusqu’au 1er octobre 1733. En rêve, évidemment, en nous servant de ce que le théâtre sacré nous laisse – quelques dessins, des lettres, des traités, les pages de Brecht sur le théâtre oriental... Ces voyages-là n’ont aucune soif de rigueur documentaire. Nous avons d’ailleurs pris avec certains personnages (l’Amour…) d’impardonnables libertés.

Rêve d’un théâtre endormi dont on aurait refondu la clef, rouvert le rideau, réveillé la voix, raccordé les instruments, dont les créatures rejoueraient en songe la tragédie de Phèdre et de ses noirs désirs – qui est la nôtre depuis Racine, depuis Euripide, depuis toujours – sous une lampe qui donnerait aux illusions les accents de la vérité. 


This evening, Rameau presents his first opera. An opera which "tires" Voltaire "by dint of science", crushes the old Campra because his rival squeezes "enough music to make ten", terrorizes the Mercure where for the first time the adjective "baroque" is associated to a musical work ("the singular was barocque, the fury was tintamare"). 

But first a date. Thursday, October 1, 1733. At the age of fifty, Rameau made his debut on the lyric stage - from which he never descended. Suddenly, the tragédie lyrique changes tone, color, material: "it is here, we will also read in Mercure, the time of the revolution that took place in Music". 

Revolution? The founding code is nevertheless there, severe, even frightening: a division in all respects in accordance with that invented sixty years earlier by Lully and his poet Quinault; a shower of ex machina gods and decorative figures; in each act, at the heart of the tragedy, a danced entertainment for the merry sailors, the hunters or the shepherds. Nothing more of the unity proper to the avowed model - Racine's Phèdre - nothing yet of realistic theater, nothing like today. Everything for us, even everything of us, but nothing like us. 

Proud, aristocratic, Hippolyte walks only at his own pace, lends himself to all adaptations but refuses to adapt to our customs and our whims. We therefore gave up driving him by force here. We made the bet to transport ourselves to him. To get rid of our habits in order to listen to its language, its rules, its disturbing strangeness.

Follow Rameau and Pellegrin in their abandoned ritual, their forgotten codes, their machines, their loves and their monsters, their tears and their ramblings, until October 1, 1733. In dreams, of course, using what the sacred theater leaves us - a few drawings, letters, treatises, Brecht's pages on the oriental theater ... These trips have no thirst for documentary rigor. And we have taken unforgivable liberties with certain characters (Amour...)

Dream of a sleeping theater whose key we would have recast, reopened the curtain, awakened the voice, connected the instruments, whose creatures would replay nightly the tragedy of Phedra and his dark desires - which has been ours since Racine, since Euripides, always - under a lamp that would give illusions the accents of truth. 

Designs – Antoine Fontaine

Costumes – Jean-Daniel Wuillermoz

Choreography – Natalie van Parys

Lighting – Hervé Gary 

Avec : Sarah Connolly, Allyson Mc Hardy, Stéphane Degout, Anne-Catherine Gillet, Topi Lehtipuu, Frederic Antoun, Philippe Talbot, François Lis, Jérôme Varnier, Jennifer Holloway, Andrea Hill, Aurélia Legay, Jaël Azzaretti, Marc Mauillon, Françoise Masset, Salomé Haller, Emiliano Gonzalez Toro, Aimery Lefèvre, Manuel Nunez Camelino.